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#Investigation : le marché aux enfants belges

Le marché aux enfants belges

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11 sept. 2024 à 04:00Temps de lecture
Sylvie Chevalier

À chaque pas qu’il pose sur la plage de Malo-les-bains, Christophe de Neuville tente de se rapprocher un peu de sa mère biologique. Il veut sentir des odeurs et des sons qu’elle a peut-être perçus, elle aussi, il y a près de 65 ans. C’est le seul " contact " qu’il puisse envisager pour le moment.

Christophe de Neuville © Tous droits réservés

Christophe est né sous X près de Dunkerque. Sa mère l’a abandonné à la naissance dans le plus grand anonymat. Comme beaucoup d’autres enfants belges, il est né dans une clinique privée du nord de la France et s’est retrouvé 3 jours plus tard exfiltré en Belgique.

Arraché à sa mère dès la naissance, il a été parachuté dans sa future famille adoptante en toute illégalité.

Des milliers d’enfants belges et des milliers de mères ont fait partie de ce qui ressemble bien à un vaste trafic d’enfants de l’après-guerre aux années 80. Plusieurs institutions catholiques belges et plusieurs asbl comme l’Œuvre d’adoption ont contourné la loi française de la naissance sous X. Cette loi prévoit que les enfants nés sous X soient déclarés à la DDASS et deviennent pupilles de la nation, puis proposés à l’adoption.

Ici, un simple acte de naissance était enregistré à la mairie, puis le nourrisson se volatilisait vers la Belgique. Quelques mois plus tard, une certaine Thérèse Wante à l’origine de l’Œuvre d’adoption sollicitait auprès du Tribunal de première Instance de Dunkerque de devenir la tutrice légale du bébé. Citoyenne belge, elle obtenait sans souci de ce Tribunal le titre de tutrice d’un bébé résidant sur le sol belge mais pourtant né en France.

La filière dite du "Tribunal de Dunkerque"

Christiane Paligot © Tous droits réservés

Christiane Paligot, née elle aussi sous X, à Malo-les-bains, à quelques heures d’intervalle de Christophe a remué ciel et terre et a fini par obtenir du Médiateur de la République une lettre stipulant noir sur blanc que cette procédure était illégale et qu’il s’agissait bien d’une filière. Le tout donnant droit à réparation. Mais jusqu’ici Christiane n’a rien obtenu même pas un nouveau rendez-vous avec le Médiateur.

Pour éviter une procédure longue et coûteuse, risquée aussi contre l’Etat français, Anne Borgniet, née dans les mêmes conditions, a fini par accepter les 6000 francs français proposés à l’époque, soit 150 euros !

Voilà ce que je vaux ", témoigne-t-elle.

" Là on n’est rien, ni personne, c’est méprisant ".

Côté belge, rien n’est simple non plus et beaucoup de questions se posent sur la légalité de ces adoptions. Ainsi les bébés séjournaient chez leurs futurs parents durant de longs mois sans aucun papier, sans être déclaré à l’Office des étrangers. Enfin lorsque Thérèse Wante était officiellement désignée tutrice, de manière illégale, elle entamait avec les parents adoptants une procédure d’adoption devant un notaire, procédure ensuite validée par un Tribunal belge.

Tous ces enfants étaient aussi visiblement vendus par les institutions d’adoption. Les parents du père et de la mère biologique et les parents adoptants étaient sollicités pour mettre la main au portefeuille. Les sommes variaient en fonction des revenus mais elles pouvaient monter jusqu’à 150.000 francs belges, soit 20 fois plus que le salaire moyen d’un employé à l’époque.

© Tous droits réservés

Christophe de Neuville est outré :

On s’imagine que c’est en Asie ou en Afrique mais chez nous un trafic d’enfants, c’est hallucinant d’entendre ce nom-là !

Donc il y a une rage chez moi de savoir comment des gens haut placés ont cautionné ça.

Le dossier avait été révélé il y a dix ans devant le Parlement flamand. On en a reparlé il y a peu dans les travées du Parlement fédéral. Les adoptés belges étaient là et ont entendu de la bouche de l’ex Premier ministre Alexander de Croo qu’il fallait qu’une enquête soit ouverte.

C’est précisément ce que désirent toutes ces victimes. Elles réclament qu’une commission parlementaire fasse la lumière sur ce vaste scandale qui concerne aussi des enfants nés en Belgique. Christophe de Neuville a créé une association. Il vient de déposer plainte devant le Justice. Sa plainte devrait se retrouver dans les mains du Parquet fédéral.

Quelle est la position du clergé belge ?

Tommy Scholtès, porte-parole des Evêques de Belgique © Tous droits réservés

Du côté du clergé, le porte-parole des Evêques Tommy Scholtès nous assure que l’Église catholique veut également que toute la lumière soit faite sur cette affaire. Elle reconnaît une part de responsabilité dans ce dossier mais refuse l’idée que des religieux se seraient enrichis dans ce trafic. "On n’est pas dans le contexte d’un achat, on est dans le contexte d’une contribution à des frais éventuellement. Des personnes qui souhaitaient avoir un enfant et qui ne pouvaient pas en avoir personnellement s’adressaient parfois à un orphelinat et à ce moment-là, clairement, la famille remerciait et contribuait aux frais de séjour, je dirais, de cette future mère ou faisait un don à la communauté si c’était bien…"

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